L'ECHO DE LA LYS
Que s'est-il passé dans les chambres mortuaires d'hôpitaux ?
« Une véritable mafia ! »
Un repenti raconte les dysfonctionnements dont il aurait été témoin et acteur durant près de quinze ans. Depuis l'affaire Louvrié, les pratiques scandaleuses des professionnels de la mort sont montrées du doigt C'est un repenti qui se livre, qui fait son mea culpa sous
couvert d'anonymat. Il a pratiqué la reconstruction des corps, pour
rendre l'aspect des défunts présentables aux familles. Pourquoi témoigner aujourd'hui ? Pour être en paix avec ma conscience. Je ne suis pas fier de ce que
j'ai fait, mais je suis sensible aux témoignages des familles qui se
posent beaucoup de questions suite à l'affaire Louvrié. Le cas n'est pas
unique. Vous pouvez exhumer tous les corps autopsiés, 90 % n'ont pas été
recousus. Certains n'ont pas été rhabillés. Comment expliquez-vous cela ? Les médecins légistes sont débordés de travail et, à l'époque à
laquelle j'exerçais, ils déléguaient auprès des agents d'amphithéâtre,
notamment pour recoudre les corps. Chaque mois, cent à cent vingt
personnes décédées sont transportées à la morgue. Certaines autopsies
sont réalisées par décision du parquet, et d'autres sont pratiquées pour
connaître la cause du décès, suite à un traitement médical par exemple.
Les médecins légistes demandaient aux agents d'amphithéâtre de les
décharger de la reconstruction des corps moyennant un dédommagement.
Pour autant, je me souviens de nombreux cas où le travail n'était pas
exécuté. Les employés de la chambre mortuaire ont un énorme pouvoir sur
le devenir des corps. Que voulez-vous dire exactement ? La chambre d'amphithéâtre est le point central des décisions prises
pour les défunts. Les agents accueillent les familles mais aussi les
professionnels : thanatopracteurs et organismes des pompes funèbres.
Durant toutes ces années pendant lesquelles j'ai exercé, j'ai vu des
agents d'amphithéâtre influencer les familles pour prodiguer des soins
sur le défunt. Même si le corps n'en avait pas besoin. Ils n'avaient
aucun scrupule à organiser une mise en scène afin de convaincre les
familles. Pour bénéficier du travail à réaliser, les professionnels
devaient verser une somme d'argent aux agents d'amphithéâtre. C'était la
règle, sinon pas de travail et parfois des représailles pour percevoir
l'argent. C'était une forme de racket organisé. À l'époque, je devais
verser 5 à 6 euros par corps pour les soins. C'est une véritable mafia. Quel message adressez-vous aux familles endeuillées ? Je dois raconter comment cela se passait. Je suis sûr que ces
pratiques sont courantes dans bon nombre de chambres mortuaires
hospitalières. Je n'ai aucune envie de vengeance. Je veux simplement me
libérer la conscience et alerter les familles pour qu'elles ne se
laissent pas influencer. Elles doivent faire valoir leur droit à choisir
l'organisme qui s'occupera de les accompagner dans leurs démarches pour
enterrer dignement leur défunt. Si c'est nécessaire, je suis prêt à
témoigner devant la justice. Questions à Thierry Jacquard, responsable de la chambre mortuaire de l'hôpital Henri-Mondor (Paris)
Corps non recousus, intimidation, racket : pensez-vous de telles pratiques possibles ? Cela ne me surprend pas. Fut une époque où des dysfonctionnements
ont été pointés du doigt dans les chambres mortuaires et notamment
dans la région parisienne. À ce moment-là, nous avons eu le courage
de porter une réflexion sur le problème afin d'y remédier. Tout est
rentré dans l'ordre. C'était à la fin des années 90 et début des
années 2000. Nous avons chassé les personnes qui abusaient du
système. Dans d'autres régions, cette prise de conscience semble
plus difficile. Comment peut-on en arriver là ? La morgue est un milieu obscur. Ce que je peux vous expliquer,
c'est qu'il existait un réseau où on attribuait les postes contre
rémunération. C'était d'autant plus vrai que la direction n'apparaît
pas souvent dans cet endroit. L'administration a laissé faire durant
de nombreuses années. Un train de vie s'est mis en place. Le cercle
qui s'est forgé est très étriqué. Il fallait payer sa place. À
l'époque, cela pouvait représenter 3 000 francs. C'était
l'équivalent d'un à deux salaires. Les plus anciens visaient à
devenir responsables des chambres mortuaires. Il régnait un omerta
couverte par l'administration. Il faut dire aussi que c'est un
milieu à part, dans lequel les prétendants aux postes ne se
bousculent pas. Quels sont les moyens de remédier aux dysfonctionnements ? Ces pratiques sont intolérables et jettent l'opprobre sur la
profession. Il faut absolument les dénoncer. Dernièrement, une loi a
été votée pour légiférer sur la règlementation à respecter lors d'un
décès.
Des pratiques mafieuses dans la chambre
mortuaire de l'hôpital de Lens ? D'après le président
fondateur de l'Association française d'information funéraire (AFIF),
basée à Paris, les propos du repenti sont - hélas - crédibles.
Ainsi, Michel Kawnik ne fronce pas les sourcils à l'évocation de
possibles mensonges pour vendre des prestations aux familles
endeuillées, ni aux allégations de représailles d'agents
d'amphithéâtre à l'encontre des pompes funèbres : « Il y a eu dans
maints hôpitaux de France des détournements de clientèle, des
soultes, des chantages aux sociétés. Quand des agents d'amphithéâtre
font le travail des médecins légistes moyennant de l'argent de main
à main, si on les laisse faire n'importe avec les corps, je crois
logique qu'une cascade malsaine de malhonnêteté ait pu exister. »
Michel Kawnik attend que les responsables - médecins légistes et
tête d'administration hospitalière -, répondent de ces accusations
devant la justice. S. L. www.afif.asso.fr
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