ZINFOS 974 28 mars 2023
A Saint-Leu, société de pompes funèbres loue "pied sous-terre"
Respecter les dernières volontés du défunt. Dans un
dernier hommage rendu à la personne, les proches se
plient souvent en quatre pour exaucer les souhaits
d’inhumation ou de crémation, de rituel ou encore de
lieu de sa dernière demeure. La saturation des
cimetières par manque de foncier notamment complique
la tache des autorités. Alors comment faire pour
enterrer le défunt là où il le souhaitait ?
Des sociétés de pompes funèbres qui possèdent un caveau familial ont trouvé la faille. Elles acceptent souvent d’accueillir temporairement le cercueil dans leur caveau en attendant qu’une concession soit libérée et achetée ou encore qu’un caveau soit construit. La pratique est courante dans le milieu funéraire même si pas vraiment réglementée. Les sociétés de pompes funèbres qui possèdent des caveaux familiaux proposent aux familles endeuillées qui se trouvent dépourvues de place une sorte de contrat tacite. Prestations de transport du corps, d’achat du cercueil, de construction de la future marbrerie ou encore celle du caveau seront réalisées chez elles en échange de l’entreposage temporaire du cercueil, confie une société qui a pignon sur rue. L’entreposage temporaire d’un cercueil hors caveau communal est effectivement légal. Celui-ci ne doit pas dépasser 6 mois. "Le cercueil peut également être déposé dans un caveau provisoire, le cas échéant après accord du propriétaire du caveau, dans l’attente de l’inhumation définitive. L’autorisation du dépôt est donnée par le maire de la commune du lieu du dépôt, après vérification que les formalités prescrites par l’article R. 2213-17 et par les articles 78 et suivants du Code civil ont été accomplies. Le dépôt prévu au deuxième alinéa ne peut excéder six mois. À l’expiration de ce délai, le corps est inhumé ou fait l’objet d’une crémation dans les conditions prévues aux articles R. 2213-31, R. 2213-34, R. 2213-36, R. 2213-38 et R. 2213-39", indique le Code général des collectivités territoriales. C’est le principe de gratuité qui doit prévaloir, indique pour autant Michel Kawnik, président de l'Association française de l'information funéraire. "L’entreposage en caveau provisoire, qu’il soit communal, particulier ou lié à une entreprise, doit être mis à disposition sans frais normalement" Plus de 1000 euros pour 6 mois de location Ici plus qu’un arrangement, un contrat de bail pour "la location d’un caveau à titre provisoire" est proposé à la famille. La société de pompes funèbres devient ainsi bailleur d’un caveau du cimetière marin de Saint-Leu. Un membre de la famille devient pour le défunt le locataire pour une place dans un caveau en béton qui en compte 9, mentionne le contrat. Sont également précisés la durée, le montant du loyer mensuel, le dépôt de garantie... à l’image d’un contrat de bail classique pour un pied à terre. Afin de donner du crédit au contrat et le légitimer, la société de pompes funèbres mentionne avant toute chose que "le Bailleur donne à location pour un usage exclusivement personnel un caveau ci-après désigné au Locataire aux conditions fixées par le présent contrat de bail soumis aux dispositions du Code civil, ainsi qu’à celles de l’article 57 A de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 modifié". Une loi qui tend à favoriser l'investissement locatif, l'accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l'offre foncière et un article qui régit les baux à usage professionnel… Le contrat de location, décidément, interroge. L’AFIF, association basée à la Rochelle, a pour objet l’information des familles fragilisées par le deuil mais aussi leur accompagnement. Selon l’AFIF, les obsèques constituent le troisième poste de dépense des familles après l’immobilier et la voiture. Les frais funéraires, (transport du corps, veillée, mise en bière, inhumation, acquisition d’une concession, emblèmes religieux, marbrerie, fleurs…) s’élèvent en moyenne à 2500 euros à La Réunion et varient en fonction du niveau des prestations. Pour la location d’une place en caveau provisoire, il faudra visiblement compter plus de 1000 euros pour une durée maximale de 6 mois. Face à un business de la mort très concurrentiel, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes liste les comportements illicites des professionnels. Parmi lesquels "l’entretien d’une confusion entre les prestations relevant du service public et celles dont le caractère est commercial est préjudiciable aux familles". Pas d’arrangements entre la collectivité et l’entreprise" Sous le poids de la douleur, noyées dans les démarches administratives, pressées par le temps (le délai entre le décès et l’inhumation ne doit pas dépasser 6 jours, sauf exception), les familles apparaissent en effet particulièrement vulnérables. Les caveaux provisoires communaux constituent en effet des équipements facultatifs d'un cimetière. Jusqu’en novembre dernier, à la livraison de l’extension du cimetière marin de Saint-Leu, le seul caveau communal se trouvait à la Chaloupe Saint-Leu. En l’absence de place dans une concession familiale et si le défunt avait pour volonté absolument d’être inhumé dans le cimetière marin, les solutions apparaissent effectivement limitées pour les proches. Contactée, la mairie assure n’avoir pas eu connaissance de cette activité rémunérée. "C’est un service qui peut être rendu à titre provisoire et de manière non rémunérée", explique-t-elle. La location d’une sorte de pied sous-terre pose question, avance-t-elle. Pour le moins, il n’y a pas eu d’arrangements entre la collectivité et l’entreprise, indique-t-elle en ajoutant que le service funéraire de la ville s’est emparé de la question. Interrogé sur la légalité d’une location d’un caveau, un opérateur du funéraire public renvoie à "la charge du tribunal administratif qui est souverain pour en déterminer la régularité". Au vu des jurisprudences, "un contrat de concession avec une société de pompes funèbres qui de surcroît dispose d’une personnalité morale n’est pas règlementaire", soulève l’opérateur. De même, "établir un contrat de bail dans le cadre d’une location d’un caveau provisoire privé n’est pas non plus règlementaire d’autant que la notion de 'caveau provisoire' est du monopole communal", indique-t-il.
Prisca Bigot
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