20 MINUTES 5 JANVIER 2023 Funérailles : Et si comme aux Etats-Unis, on autorisait le compostage humain ?RETOUR A LA TERRE New York autorise désormais le compostage humain, méthode d’inhumation alternative et verte où on laisse le corps des défunts être décomposé par les bactéries jusqu’à former un terreau
Transformer en douceur le corps humain en terreau… C’est toute la promesse de Return Home, société de pompes funèbres d’Auburn, près de Seattle (Etats-Unis) avec son procédé « Terramation ». Un nom poétique pour désigner du compost fabriqué à partir de corps humains. Le processus se fait en trois étapes. Le corps du défunt est d’abord placé dans un récipient réutilisable et semi-ouvert avec une litière adaptée faite de luzerne, de pailles et de copeaux de bois, histoire de mettre les microbes dans de bonnes conditions pour travailler. Un mois plus tard et après le broyage des os, on obtient un mètre cube de sol riche en nutriment que Return Home laisse reposer trente jours de plus. Ce n’est qu’ensuite que cette terre est restituée à la famille et peut être utilisée comme engrais. New York, sixième état américain à sauter le pasUn tel traitement d’une dépouille est interdit en France, rappelle Michel Kawnik, fondateur et président de l’Association française d’information funéraire (Afif). « Il n’y a que deux modes de traitement possibles, soit l’inhumation [enfouissement sous terre], soit la crémation [brûler le corps et le réduire en cendres], explique-t-il. Et dans tous les cas, la mise en cercueil est obligatoire. » Aux Etats-Unis, en revanche, les choses bougent. L’État de Washington a été le premier à légaliser le compostage humain en 2019. Suivi du Colorado et de l’Orégon en 2021, puis du Vermont et de la Californie, en 2022. En ce début 2023, c’est au tour de l’État de New York de sauter le pas, rapporte le Guardian. Laetitia Royant, co-autrice, avec Brigitte Lapouge-Déjean de Funérailles écologiques (ed. Terre vivante) est persuadée que d’autres Etats suivront… et que la France finira par s’y mettre, elle aussi. Une sénatrice avait déjà posé la question de sa légalisation en octobre 2016 et une députée Modem a également déposé un amendement en sens en 2021. « Les deux initiatives ont été rapidement rejetées mais deux associations - Humusation France et Humus Sapiens- ont vu le jour l’an dernier et continuent à porter cette demande », précise l’experte. La promesse d’un réel retour à la terreAu-delà de ça, Laëtitia Royant comme Michel Kawnik notent un intérêt croissant des citoyens pour des modes d’enterrement plus respectueux de l’environnement. Preuve en est : près de 270.000 personnes ont été incinérées en France en 2020, ce qui représente 40 % de tous les décès. Un chiffre en constante augmentation depuis 1975, selon l’Afif. « Une étude des services funéraires de la ville de Paris d’octobre 2017 a estimé l’impact carbone d’une inhumation 3,6 fois supérieure à la crémation », note Laëtitia Royant. S’il ne s’agit que d’une moyenne, l’étude précise que l’inhumation la moins écologique, avec construction d’un caveau en béton et pose d’un monument, souvent importée d’Asie du Sud-Est, équivaut à cinq crémations**. « Or, ce sont souvent ces choix que les sociétés funéraires poussent les familles à faire », déplore l’experte. La promesse du compostage humain est radicalement opposée : permettre un réel retour à la terre, qui lui soit, en prime, profitable. Encore faut-il distinguer les différentes techniques. Brigitte Lapouge-Déjean émet quelques bémols sur celles employées à ce jour aux Etats-Unis. « On est tout de même sur des solutions très technologiques, où tout est fait pour accélérer le processus de décomposition, pointe-t-elle. Deux mois c’est extrêmement rapide. Est-ce vraiment alors naturel ? Et même écologique ? » Les deux autrices de Funérailles écologiques préfèrent se référer à une autre technique, théorisée par l’ingénieur belge Francis Busigny sous le nom d’humusation. Pas de boîte cette fois-ci. La dépouille est déposée sur un lit végétal de 20 cm d’épaisseur puis enseveli par 2m² de ce même mélange de terre. « Et on laisse se faire la décomposition sur un temps beaucoup plus long de douze mois », reprend Brigitte Lapouge-Déjean. Francis Busigny imagine qu'une petite partie de ce humus contribue à faire pousser un arbre en mémoire du défunt. Le reste serait utilisé pour régénérer des sols dégradés dans la région alentour. En attendant, cercueil biodégradable et en pleine terre ?Brigitte Lapouge-Déjean songe plus à cette deuxième solution pour la France, « jusqu’à aller vers des cimetières jardins dont la terre serait nourrie par ces corps décomposés ». Encore faut-il faire modifier la loi. Mission impossible ? L’experte désespère de voir les choses bouger un jour et pointe « l’intense lobbying des sociétés funéraires contre le compostage humain », dont « l’intérêt n’est pas seulement d’être un mode funéraire écologique mais aussi beaucoup moins cher ».
Pierre Larribe, responsable juridique de la Confédération
des professionnels du funéraire et de la marbrerie (CPFM), se
défend de toute opposition de la profession. « Si ça passe, on
s’adaptera, explique-t-il. Notre travail ne se limite de toute
façon pas au traitement des dépouilles mais aussi à
l’organisation des obsèques, ce qui restera toujours nécessaire
quelle que soit la méthode de traitement des corps choisie… » En
attendant, Brigitte Lapouge-Déjean rappelle qu’il est déjà
possible d’opter pour des cercueils dans des matières qui se
dégraderont très vite comme le carton ou le bois blanc. « Et en
pleine terre plutôt que dans un caveau en béton »,
insiste-t-elle. Certains cimetières naturels, comme
celui de Souché, près de Niort, proposent déjà ce type
d’enterrement… finalement pas si éloigné du compostage humain. |
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