LA CROIX 7 janvier 2020
Donner son corps à la science n’est pas gratuitEnquête La plupart des centres de dons demandent aux futurs donateurs de payer pour le transport de leurs corps. Des frais variables selon les facultés de médecine, qui communiquent peu, à l’image du secteur funéraire. Payer pour donner son corps ? Le principe a de quoi surprendre, voire choquer. C’est pourtant une réalité dans la plupart des centres de dons en France, y compris dans celui de la faculté René-Descartes, à Paris, dont L’Express a aussi révélé la vente de dépouilles à des tiers, parfois en « pièces détachées ». Un paradoxePour ce qui est de la contribution demandée aux futurs donateurs, « elle varie énormément d’une faculté de médecine à l’autre et peut aller jusqu’à 1 500 € », signale Michel Kawnik, le président de l’Association française d’information funéraire (Afif). Fondé en 1992, cet organisme indépendant interroge régulièrement les laboratoires d’anatomie à ce sujet. « Généralement, ils refusent de répondre », assure Michel Kawnik. Un paradoxe selon lui, à l’heure où « les centres de dons ne cessent de dire qu’ils manquent de corps et auraient intérêt à communiquer ». À quoi correspondent ces frais ? Le plus souvent, au transport du corps, depuis le lieu du décès jusqu’au laboratoire d’anatomie. « Le Centre du don des corps n’est pas un opérateur funéraire et n’est pas habilité à transporter les corps, explique sur son site Internet la faculté René-Descartes, qui fait donc appel à une société extérieure. En Île-de-France, les tarifs s’échelonnent de 400 à 700 €. « Ailleurs, cela peut avoisiner les 800 €, parfois pour trois ou quatre kilomètres seulement », s’indigne Michel Kawnik. Une somme à régler en amont, « sans quoi on ne vous remet pas la carte de donateur », poursuit-il. Le manque « d’éthique commerciale »Si faire payer un acte a priori gratuit pose question – « les universités ont des moyens financiers pour la recherche qui devraient couvrir les frais », estime-t-il –, Michel Kawnik regrette surtout la culture du silence régnant dans certains centres de dons. Une sorte d’« omerta » qui vaut pour l’ensemble du secteur funéraire, « où les tarifs sont totalement libres ». Trop, selon le président de l’Afif, qui dénonce le manque « d’éthique commerciale » de certains crématoriums, « dont les prix varient du simple au double » sans raison apparente. A la faculté de Brest, le laboratoire facture le transport mais prend en charge. « Entre cela,la crémation, le nettoyage ou la récupération des liquides biologiques dans des bocaux, chaque corps reçu coûte en moyenne 1 000 € », souligne le responsable du laboratoire, le professeur Romuald Seizeur. « C’est le plus gros budget de la faculté », souligne le médecin, plaidant un « financement au niveau national ».Une nécessité selon son homologue à l’université de Tours, le docteur Christophe Destrieux. « Aujourd’hui, chaque centre a son fonctionnement et son mode de financement propres, ce qui peut parfois entraîner des dérives comme à Paris. Il faudrait que le système soit unifié », estime ce neurochirurgien, qui plaide pour la création d’un établissement national, sur le modèle de l’Agence de la biomédecine.
Association française d’information funéraire |
<
Reportage précédent
Reportage suivant > |