LA CHARENTE LIBRE
28 novembre 2019
Laurence GUYON
DONNER SON CORPS À LA MÉDECINE,
UN CASSE-TÊTE
Donner son corps à la science est un geste civique parfois
découragé par des pratiques déroutantes. Le donateur doit payer
à l’avance une somme élevée. Une Charentaise raconte son
parcours.
Marguerite, 82 printemps, était tout à fait disposée à faire
don de son corps à la science. De sa maison de Saint-Yrieix,
elle lâche en riant: « Je
ne crois en rien. Que voulez-vous que je fasse de mon corps
après ma mort ? Si ça peut servir à quelques étudiants… » Mais
devant la bizarrerie des démarches, elle a renoncé, avec la
sale impression qu’il s’agissait d’un nouveau « système
pour plumer les vieux ».
Au centre du don de Poitiers, on lui demande un certificat
médical attestant qu’elle n’est porteuse d’aucune maladie
contagieuse. Elle s’exécute sans difficulté. Plus déroutant,
on lui demande de passer par un assureur pour régler les
frais d’un montant de 950 euros. Ce n’est pas le prix qui la
fait tiquer – « C’est
moins cher qu’un enterrement », sourit-elle – mais le
fait qu’on lui indique un assureur. Lequel lui envoie un
dossier à remplir dans lequel on l’interroge sur le montant
de son épargne disponible, l’estimation de son patrimoine,
ses revenus mensuels. « J’ai
eu le sentiment qu’on m’orientait sur un contrat
d’assurance-vie durable. C’est une collusion public-privé
que je trouve répréhensible. » Méfiante,
elle a arrêté net ses démarches.
« On est tous obligés de se débrouiller »
Le Pr Richer, responsable du centre de don du corps à Poitiers,
soupire: « La
loi dit que le don du corps doit être gratuit. Mais le traitement
d’un corps, ça nous coûte plus de 1 000 euros, entre le transport,
l’embaumement, l’incinération… » Le centre de
Poitiers reçoit 40 corps par an. Ce qui représente plus de
40 000 euros. « Comment
on fait? Personne ne nous donne la réponse. On n’a aucune subvention
et on ne peut pas financer ça. On est tous obligés de se
débrouiller. Alors on passe par une assurance. » Qui
sert de support pour collecter l’argent dont le bénéficiaire sera,
au moment du décès, la fac de médecine. « Qui
ne peut pas refuser un don », lâche le Pr Richer.
Jean-Pierre Richer rassure: « À
aucun moment ces sommes ne transitent par les mains d’un
particulier. Et elles ne suffisent pas à couvrir les frais. On est
en déficit. » Et s’il conseille un assureur, c’est
parce que « celui-là
prend des frais minimes et qu’il ne profite pas de la situation.
Mais rien n’empêche de passer par un autre. »
Si l’assureur concerné, Jacques Vincent à Poitiers, envoie ce
dossier « inquisitorial »,
selon les termes de Marguerite, c’est qu’il y est obligé par un
règlement tatillon, explique-t-il. Il n’est pas surpris de la
réaction de Marguerite: « On
a affaire à une clientèle âgée qui ne comprend pas toujours. Et ça
nous complique la tâche. »
L’UFC Que Choisir, par la voix du conseiller Gilbert Fontaine, avoue
son étonnement: « Le
fait que ce soit payant signifie que les gens qui n’ont pas les
moyens ne peuvent pas donner leur corps. Par ailleurs, le dossier à
remplir est confus, complexe, avec des renseignements personnels. »
À L’Afif (1),
un organisme indépendant qui répond à toutes les questions touchant
aux obsèques, c’est le montant demandé qui fait faire des bonds au
président, Michel Kawnik : « 950 euros?
Ce n’est pas normal, on ne peut pas cautionner ça. » Il
s’en tient au texte de la loi: « Cette
somme devrait financer uniquement le transport du corps. Ça coûte au
maximum 300 euros, selon l’éloignement. » Le Pr
Richer ne voit que deux solutions pour en sortir: « Soit
on change la loi, soit l’État nous donne les moyens de faire
fonctionner nos centres du don. » En attendant,
Marguerite a préféré acheter une concession dans un cimetière.
Afif, Association française d’information funéraire. Permanence
téléphonique au 01 45 44 90 03. Site: afif.asso.fr
Comment donner son corps
Donner son corps à la science est un « geste
civique », explique Michel Kawnik, président de l’Association
française d’information funéraire. À l’ère des mannequins bourrés de
technologie et du numérique qui permet de tout modéliser, les vrais
corps restent irremplaçables pour les étudiants en médecine, mais
pas seulement. « Ça
sert pour la pédagogie et pour la recherche », justifie le Pr
Richer, responsable du centre de don du corps de Poitiers. « Les
étudiants font de la dissection, les internes s’entraînent aux
gestes chirurgicaux, cite-t-il en exemple. Les
réanimateurs travaillent sur les intubations difficiles. Sur les
corps, on peut répéter les actes. » Il ajoute: « Il
y a tout un travail de recherche fondamentale qui est fait par ce
biais en labo. Ça permet de tester l’implantation de nouvelles
prothèses, l’adaptabilité de nouveaux matériaux. » On
peut aussi s’assurer que la technique qu’on a imaginée est bien
réalisable et voir comment on peut l’améliorer.
« Pour bien faire, il nous faudrait 80 corps par an », estime
Jean-Pierre Richer. Ce chirurgien, enseignant à la fac de médecine,
doit se contenter de la moitié. Parce que donner son corps est un
acte qui suscite des réticences et de la méfiance. « Ce
n’est pas dans la mentalité française, regrette le Pr Richer
qui tient à rassurer: On
travaille toujours dans le respect du corps du donateur. » Si
l’acte est rare, c’est peut-être aussi en raison d’obstacles
réglementaires et administratifs qui découragent parfois les bonnes
volontés, comme en témoigne Marguerite (lire ci-dessous).
Le donateur doit avoir fait connaître sa volonté de son vivant
auprès du centre de Poitiers pour les habitants de la région (1).
Au moment de son décès, il sera transporté en ambulance jusqu’au
centre du don. « À
partir du moment où il franchit ces portes, le corps devient
anonyme, ce qui signifie que la famille ne pourra pas le récupérer »,
note le Pr Richer. Le corps du défunt y est soit congelé, soit
embaumé, en attendant une future utilisation. Après quoi il sera
incinéré et les cendres placées dans une tombe dédiée au cimetière
de la Pierre-Levée à Poitiers. Chaque année, la fac organise une
cérémonie pour rendre hommage à la mémoire des donateurs.
Centre du don du corps de Poitiers, faculté de médecine, 6, rue de
la Milétrie, BP 199, 86034 Poitiers cedex; 05 49 45 43 51.