Le marché des obsèques en France pèse, monuments et articles de cimetières compris, près de 2,5 milliards d’euros. Avec 594 000 décès en 2016, ce commerce n'est pas près de faire faillite : dans 30 ans, conséquence du vieillissement naturel de la population, ce seront près de 750 000 personnes qui décéderont tous les ans. Comment les grands groupes se chargent-ils de vos obsèques ?
Des prestations extravagantes
Le cercueil avec quatre poignées obligatoires reste l’article incontournable, le produit d’appel de tous les commerces, physique ou en ligne. Chaque enterrement ou crémation effectuée en France doit obligatoirement se faire avec un cercueil, avec quatre poignées pour le soulever. On en trouve à tous les prix, de 450 euros pour un cercueil en aggloméré (700 euros pour du carton amélioré) jusqu'à plus de 3 000 euros pour du chêne massif. Celui de Johnny Hallyday en érable blanc est vendu 1 900 euros. Vernis, poignées additionnelles, capiton : toutes les prestations supplémentaires sont optionnelles.
Des prestations qui peuvent parfois sembler extravagantes. Pour honorer les cendres après la crémation, on propose par exemple des dispersions en mer, en montgolfière, voire dans l'espace. Plus original encore (mais interdit en France), certains n'hésitent pas à faire transformer les cendres de leurs défunts… en diamants. "Le diamant, c’est du carbone pur, explique Michaud Nérard, ancien directeur des services funéraires de la Ville de Paris. Il suffit d’extraire le carbone des cendres, et de le mettre sous de très fortes pressions et à très haute température pour obtenir des diamants. Vous pouvez porter votre belle-mère au doigt !"
Pour attirer la clientèle, les pompes funèbres proposent également des options gratuites. À Vitry-le-François, vous pouvez vous offrir le modèle du corbillard utilisé pour les funérailles Johnny Hallyday. "Nous le mettons gracieusement à disposition pour tout le monde, s'enthousiasme Thierry Ceotto, gérant d'un établissement Funéris. Nous ne faisons pas d’argent avec, cela nous permet juste de valoriser notre image de marque à travers les enterrements."
La facture la plus lourde possible
Pour capter l’attention des proches du défunt éprouvés émotionnellement, vulnérables, et forcés dans l’urgence d’arranger les obsèques dans un délai de six jours, une véritable course commercialecommence d’abord pour comparer des devis, notamment sur internet.
Beaucoup de sites spécialisés dans le funéraire proposent des applications payantes comme un coffre-fort numérique (pour ranger les codes et les papiers du défunt) ou encore la sépulture numérique : pas besoin d’aller fleurir la tombe, on peut se rendre sur un site pour revoir le défunt et entendre sa voix. "Certaines prestations peuvent paraître fantaisistes" met en garde Arnaud de Blauwe, rédacteur en chef de Que Choisir, qui propose un guide pour bien préparer ses obsèques. Les entreprises de pompes funèbres, même les plus sérieuses, vont essayer de vous imposer la facture la plus lourde possible."
Le but commercial est resté le même, mais le bouquet des services en options s’est étoffé. Grace à internet, on est passé en dix ans de 3 000 points de ventes à 6 000, alors que le nombre d’agences de proximité indépendantes diminue. Dans les années 1980, avant l’ouverture à la concurrence, un employé funéraire dénonçait déjà certaines dérives. "Il y avait de véritables escroqueries aux familles, raconte Olivier Géhin, aujourd’hui journaliste au Magazine funéraire. Les factures étaient alourdies par des soins mortuaires qui n'étaient en fait pas réalisés."
Une commercialisation des obsèques
Trois "poids-lourd" des Pompes Funèbres se partagent le marché en France.
Le numéro un, c’est OGF et sa marque PFG (Pompes funèbres générales), qui organise chaque année 125 000 obsèques, soit plus de 20 % du marché. Véritable conglomérat, PFG dispose d'un millier de magasins, de plusieurs chaines de crématoriums, mais aussi d’usines de cercueils avec… des forêts : dans les Vosges et dans les Landes, OGF fabrique 140 000 cercueils.
Deux autres groupes se partagent le gros du marché : Le choix funéraire et Roc Eclerc, dernier né de la réforme des pompes funèbres il y a 20 ans, se voulant la "grande surface du funéraire". À côté de ces trois "géants", des centaines d’enseignes indépendantes tentent de survivre.
Depuis la loi de 1905 et avant l'ouverture à la concurrence, les pompes funèbres étaient un monopole communal placé sous la responsabilité du maire. Mais à la fin des années 1970, ce service public est délégué à des acteurs privés, comme la Lyonnaise des Eaux, qui devient actionnaire du groupe PFG. "Les pompes funèbres deviennent un service commercial proposé et négocié avec les communes, au même titre que les transports, l’eau ou l’assainissement" constate le journaliste Olivier Géhin.
Une commercialisation des obsèques qui fait parfois scandale. Les prix s’envolent, les préfets ne contrôlant plus les cahiers des charges des pompes funèbres. Des maires de grandes villes sont vite soupçonnés de corruption et de financement illégal de partis politiques. Finalement, le 8 Janvier 1993, le gouvernement Bérégovoy met fin au monopole et ouvre les pompes funèbres à la concurrence.
Des prix qui ont grimpé
Certains fonds d’investissement étrangers vont s’engouffrer dans la brèche. C'est un fond canadien, Ontario Teachers, qui détient aujourd’hui 75 % du groupe OGF (qui détient lui-même PFG). Un investissement très rentable. "Le commerce funéraire leur apporte une certaine visibilité et une certaine sécurité, justifie Jean Ruellan, directeur marketing d’OGF_. De notre côté, cela nous permet d'avoir énormément de moyens pour notre développement." _Des enterrements en cercueils français avec une partie des dividendes qui partent au Canada…
Malgré les économies d’échelle et les gains de productivité réalisés, les prix ne baissent pas, et augmentent à un rythme deux fois plus élevé que celui de l'inflation. Les obsèques coûtent aujourd'hui en moyenne autour de 4 000 euros.
Des contrats abusifs
Autre conséquence de l’ouverture à la concurrence, le développement du marché de la prévoyance obsèques : 80 % de contrats obsèques offrent contre cotisations un capital fixé dès le départ pour financer ses obsèques. Plus de 5 millions de Français ont signé depuis qu'ils existent ce type de contrats auprès d’une banque ou d’une assurance, et cotisent chaque mois. Ils pensent ainsi ne plus être à la charge de leurs proches. Le problème, c'est que ces contrats sont souvent obscurs, beaucoup de personnes âgées ne comprenant pas ce à quoi elles s'engagent.
Ainsi, à la mort de son mari, Colette R.*, alors âgée de 81 ans, souscrit un contrat d’assurance obsèques auprès du Crédit Agricole. Il est prévu qu'elle verse des mensualités de 47 euros jusqu'à sa mort (le contrat est à "durée viagère"). Une somme en capital de 3 000 euros lui est promise à son décès. Sauf qu’elle a dû refaire ses calculs quelques années plus tard quand ses médecins lui ont annoncé au moins dix ans de plus à vivre, alors qu’elle avait déjà versé en cotisations plus que la somme promise. Mais impossible pour elle d'arrêter les versements, sous peine de perdre les deux tiers de son argent. "On lui rendrait seulement 1 100 euros. Elle paye tous les mois à fond perdu, déplore la fille de Colette. Cela me révolte. C’est du vol, je ne comprends pas que l’on puisse continuer à proposer des contrats aussi abusifs."
De nombreuses clauses dans ces contrats peuvent même permettre aux banques de ne pas reverser l'argent cotisé : un décès qui survient avant la date prévue dans le contrat, dans un accident de la route ou sur un terrain de guerre. "Il faut vraiment lire le contrat dans les petites lignes, conseille Pascale Barlet de Que choisir. Le professionnel derrière le guichet devrait s’assurer des volontés précises de chaque souscripteur avant de le faire signer et l’avertir du contenu de toutes les clauses."
De la concurrence déloyale
Ces contrats obsèques sont aussi parfois un moyen d’orienter la clientèle vers un opérateur funéraire particulier. Une pratique pourtant illégale : tout souscripteur a le droit de choisir librement son entreprise de pompes funèbres et d’en changer à tout moment sans frais supplémentaires. La loi interdit aussi le démarchage ou la publicité pour une entreprise particulière, même quand le contrat obsèques en propose une, alliée à la banque ou à l’assureur. Mais certaines pratiques permettent de contourner le règlement.
Clément W.*, client de l’assureur Aviva, souscrit en 2015 un contrat obsèques sans choisir l'opérateur qui va l’enterrer. Un an plus tard, son assureur le relance, en lui donnant une carte de souscripteur avec un numéro vert gratuit, qui peut "s’il le désire", aider sa famille au moment de son décès. Mais derrière ce numéro vert se cache la plateforme à distance des conseillers du groupe OGF, partenaire historique de l’assureur Aviva. "L’idée c’est que dans la panique, après le décès de Clément W., la famille appelle ce numéro plutôt qu’un autre, souligne Ophélie Chauffert, gérante d'un établissement indépendant de pompes funèbres dans la Marne. "Les conseillers vont naturellement orienter les proches, qui pensent que c'est le choix du défunt, vers une boutique OGF. Pour moi, c’est clairement du détournement de clientèle."
De son côté, OGF dément toute pratique illégale. "C’est un service apporté en plus du capital assuré, pour décharger les proches au moment du décès, reconnait Jean Ruellan, directeur marketing du groupe OGF. Je ne vois pas où est le soupçon. L'entente n'existe pas. La carte souscripteur, c'était de l'information. Et d’ailleurs, maintenant, ça n'existe plus."
Consulté sur cette pratique, l’auteur de la loi sur la concurrence, le sénateur PS du Loiret Jean-Pierre Sueur dénonce "un détournement du contrat obsèques pour en faire une opération financière." et ajoute qu'"un grand nombre de ces contrats est contraire à la loi, il faut les contester devant les tribunaux et porter plainte" conseille-t-il.
Les derniers opérateurs indépendants du réseau Funéris dénoncent sur leur site ce qu’ils considèrent comme une entente entre les banques, les assurances et les grands groupes du funéraire. "Nous allons porter plainte pour concurrence déloyale, annonce Thierry Ceotto, gérant du Funéris de Vitry-le-François. On a de plus en plus d’exemples de familles qui se plaignent de cette complexité administrative, et ne choisissent plus librement leur opérateur funéraire. C’est vous qui devez choisir votre opérateur funéraire, pas le contraire."
Des commissions cachées illégales
Une autre pratique illégale peut surprendre lorsque l'on examine certaines factures d'obsèques.
Des commissions, rebaptisées "frais de dossiers", sont imposées quand un grand groupe funéraire fait appel à son concurrent pour enterrer une personne dans une ville où ce groupe n'a pas de magasin. Cette commission s'élève à 10 % du capital ou davantage parfois. De l’argent en moins pour les familles. "Comment voulez-vous que ça ne se répercute pas sur la facture finale ?" s'exclame Thierry Ceotto. "Cela explique en partie l’envolée des prix, s’indigne Ophélie Chauffert, du réseau Funéris. Les 10 % en question, il faut bien les payer. Le capital disponible pour la famille est forcément réduit. On peut considérer cela comme du racket."
Simone P.* fait partie de ces personnes abusées. Elle a conclu un contrat obsèques avec la Banque postale, partenaire du groupe Le choix funéraire. Sauf que Simone P. indique à sa famille qu’elle souhaite être enterrée par l’enseigne familiale proche de son village, qu’elle connait bien. La Société UDIFE-Le choix funéraire, qui n’a personne sur place, va alors mandater l’enseigne locale en lui imposant une commission de 10 %. Le capital pour financer les obsèques de Simone P. était de 3 000 euros, facturé à la petite enseigne 3 240 euros.
La Banque postale ne dément pas ce cas précis, et condamne ce type de pratiques. "En aucun cas la famille du défunt ne doit être facturée en supplément pour les prestations choisies par contrat,nous écrit-elle dans un communiqué. Si tel était le cas, nous serions aux côtés de notre partenaire Le Choix funéraire pour que la famille soit remboursée de la somme exigée par le prestataire indélicat."
Ces commissions abusives, si elles sont répercutées sur les familles, sont punies par la loi, qui prévoit jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
"Le contrat obsèques n'est pas une obligation"
Les 5 millions de souscripteurs de contrats obsèques ignorent parfois leurs droits. "Les contrats où rien n’est précisé entrainent de nombreuses dérives, accuse le sénateur Jean-Pierre Sueur. Si la personne qui a souscrit un contrat change d’avis sur l’entreprise qui doit l’enterrer, cela ne doit normalement entrainer pour elle que des frais administratifs minimes."
Le sénateur n'a pas souhaité souscrire de contrat obsèques pour lui-même ou pour son épouse. "Je trouve ça bien que les enfants financent les obsèques des parents, c’est un devoir de solidarité,affirme-t-il. Si les parents veulent aider leurs enfants, ils peuvent tout à fait leur léguer une somme d’argent. Le contrat obsèques n'est pas une obligation." D’autant moins utile que la loi permet de prélever jusqu’à 5 000 euros sur le compte du défunt pour financer ses obsèques. Les sénateurs ont un régime obsèques particulier, équivalent à six mois de leur pension de retraite, et vont devoir réaligner leur allocation funéraire, comme l’ont fait les députés, qui n’ont plus qu’une indemnité plafonnée à 2 350 euros sur facture.
"Certaines familles ne viennent pas récupérer le corps du défunt"
En matière de mort, il y a ceux qui ont les moyens de prévoir, et il y a les autres. Plus de 4 millions de personnes vivent avec moins de 690 euros par mois en France. Des personnes en situation précaire qui n'ont pas les moyens de financer leurs obsèques.
Lors des canicules de 2003 et 2006, des dizaines de morts sont ainsi délaissés. "On se retrouve avec des personnes qui n’ont plus d’aides, qu’on ne peut pas enterrer, se désole Huguette Boissonnat, du mouvement ATD Quart Monde. On ne va plus chercher son mort, car sinon on doit payer son enterrement." Les morts "oubliés" ont été conservées dans des hôpitaux ou des chambres froides. À l’époque, ni la Sécurité sociale, ni la CMU (Couverture maladie universelle) qui vient d’être instaurée, ne couvre les frais d’obsèques pour les plus pauvres. "On a dû monter au créneau pour changer la loi et forcer les communes à reprendre leur rôle d’enterrement des indigents", rappelle cette militante.
Mais encore aujourd’hui, des communes refusent de prendre en charge la totalité de la facture des indigents. Huguette Boissonnant témoigne de la situation d'un bébé décédé à l'hôpital de Dijon (Côté d'Or) et dont la famille, en situation de précarité, vit à Langres (Haute-Marne), à 80 km de la capitale de la Bourgogne. "Langres accepte d'enterrer le bébé dans sa commune en tant qu'indigent, mais ne peut pas payer le rapatriement du corps. Le bébé reste au frigo à Dijon",fulmine la militante. Du coup, Huguette Boissonnat, également dentiste de profession, fait la quête auprès de ses clients pour faire des dons et payer la différence.
Un contrat obsèques pour les plus pauvres
Pour tenter de casser cette spirale de la précarité, même dans la mort, ATD Quart Monde en Lorraine a mis en place, avec un assureur local et le groupe funéraire Roc Eclerc, un contrat obsèques de 50 centimes à 13 euros de cotisation par mois. C’est le moins cher de France. Il garantit un capital de 2 500ٔ euros pour payer une cérémonie, et un enterrement ou une crémation digne. "On a pu abaisser le prix de la prestation à 1 080 euros, avec une crémation à Nancy à 400 euros précise Frédéric Ciliberti, directeur de ce programme à Nancy. Ainsi, quand une personne sous contrat décède dans un foyer par exemple, plus aucune commune ne se pose la question du financement du transport du corps. Chaque personne qui rentre dans nos agences peut bénéficier de ce contrat."
À Paris, c'est le collectif Les Morts de la rue qui s'efforce, avec l'aide des services funéraires de la ville de Paris, d’enterrer dignement les SDF et les indigents.
*Tous les noms et prénoms ont été changés