METRONEWS.FR
14 mars 2016
Neuilly-sur-Seine : les curieuses magouilles du croque-mort
des beaux quartiers parisiens
INFO METRONEWS – Hubert P., un gérant de sociétés de pompes
funèbres implanté dans l’Ouest parisien, vient d’être renvoyé devant
le tribunal correctionnel de Paris pour "abus de biens sociaux" et
"blanchiment d’argent". Depuis une dizaine d’années, il accumule les
doléances de proches de défunts mécontents. Mais il continue
d’exercer sous d’autres noms d’entreprises. Metronews a mené
l’enquête.
Non-respect des règles d’information, doubles facturations de la
même prestation, "pression" sur les héritiers… Voilà trois décennies
qu’Hubert P., 57 ans, navigue dans le funéraire. Et amasse les
plaintes de clients mécontents. L’association française
d’information funéraire (Afif) déconseille les particuliers de
"traiter avec ses sociétés" et regroupe depuis plusieurs années sur
son site internet leurs griefs. Comme celui, par exemple, d’une
paroisse de Versailles (Yvelines) qui accuse sa société de ne pas
lui avoir reversé l’offrande de la cérémonie religieuse. L’argent
avait pourtant été avancé par le défunt "dans le cadre d’une
convention d’obsèques", écrivait dans un courrier daté de 2012 le
trésorier de la paroisse. Ou celle d’une autre famille qui a été
facturée de prestations que la société de pompes funèbres n’a pas
honorées.
Face à ce nombre important de clients mécontents, metronews a
décidé de rencontrer Hubert P. Rendez-vous est pris à sa convenance
dans un café, rue de la Pompe (16e arrondissement). "Gainsbourg,
Bao-Daï, l’empereur du Vietnam, c’est moi. Et aussi Jean-Louis
Barrault, vous le connaissez ?", questionne cet homme poivre et sel,
tout en sirotant son demi. Hubert P. énumère ses cadavres phares. Il
veut nous prouver qu’il connaît le marché du funéraire et qu’il
n’est pas un imposteur.
"On n’a jamais forcé les gens à signer
des devis"
Car si le croque-mort est au cœur d’investigations "poussées" des
autorités judiciaire, c’est, dit-il, parce qu’il "dérange". "J’ai
toujours été précurseur sur le marché. On me cherche des ennuis car
je bouscule les monopoles", jure celui qui se défend d’être un
escroc. D’abord haut responsable des Pompes funèbres générales
(PFG), un des leaders du marché, il s’est mis à son compte en
février 1986. Pendant vingt ans, les affaires sont lucratives.
Jusqu’au début des années 2000 et l’entrée de nouveaux acteurs.
C’est à ce moment-là, aussi, que ses ennuis judiciaires commencent.
La société "Pompes funèbres premium" est domiciliée à
Neuilly-sur-Seine. A l'adresse indiquée, pas de vitrine, simplement
une entreprise de domiciliation commerciale.
D’abord en février 2010, lorsque la cour d’appel condamne son
ancienne société, "Les pompes funèbres Rive Gauche", à 20.000
euros d’amende pour escroquerie. "Je ne faisais que représenter
la société. Ce n’est pas moi mais un de mes collaborateurs qui a
fait une erreur", se défend-il encore aujourd’hui. Quelques mois
plus tard, après une quinzaine de plaintes à la direction
générale de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes( DGCCRF), Hubert P. prend, dans une autre
affaire, 4 mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende.
Relaxé pour escroquerie, il est en revanche condamné pour
"tromperie". Dans l’arrêt, consulté par metronews, les
juges lui reprochent d’avoir facturé deux fois la même
prestation et parfois même des "prestations fictives". Là
encore, dit-il, "la cour s’est trompée". "On n’a jamais forcé
les gens à signer des devis. D’ailleurs, les clients se
plaignent toujours après les obsèques. Jamais avant, bizarre,
non ?", coupe-t-il.
L’entreprise au nom d’une
nonagénaire
Le gérant, implanté dans le 16e arrondissement, est à nouveau
visé par la police en février 2013. Cette fois, pas par des
victimes mais après un signalement de Tracfin, l’organisme de
lutte contre le blanchiment. Le 1er mars dernier, un juge
d’instruction l’a d’ailleurs renvoyé devant le tribunal
correctionnel de Paris pour "abus de biens sociaux" et
"blanchiment". Il est soupçonné d’avoir détourné des fonds de la
trésorerie de sa société à des fins personnelles. Deux autres
hommes seront jugés à ses côtés – la date n’est pas encore
connue – pour "complicité" et une femme, pour "recel". "On n’a
fait que transporter des chèques. On s’est fait baiser",
commente-t-il, précisant avoir été victime d’un "escroc
recherché par la justice" - un des deux complices - qui aurait
tenté de lui faire porter le chapeau.
La cour
d'appel de Paris a définitivement condamné Hubert P. pour
"tromperie"
En 2012, le préfet de police a retiré l’habilitation d’une de
ses sociétés. Un précieux sésame délivré par les autorités et
nécessaire pour pouvoir exercer. Depuis, Hubert P. a récréé de
nouvelles entités. Dernière en date, le rachat d’une société
espagnole, "Luxadvance consulting, S. L.", domiciliée à
Barcelone, en Espagne. Filiale de cet établissement, les "Pompes
funèbres premium" a installé son siège à Neuilly-sur-Seine
(Hauts-de-Seine) au sein d’un centre de domiciliations
commerciales. Hubert P. y a inscrit le nom de sa mère comme
"responsable en France". Sa génitrice, âgée de… 90 ans. "Et
alors ? Comme la reine d’Angleterre ou des académiciens qui
continuent d’exercer à cet âge-là !", fait-il remarquer. Il
assure, depuis, avoir été habilité par la préfecture des
Hauts-de-Seine.
Une plateforme internet pour
"conseiller"
Hubert P. a réponse à tout. "C’est un homme qui donne
l’impression d’être habitué à la manipulation. Plutôt avenant
mais qui peut se montrer menaçant", indique un proche d’une des
victimes du croque-mort. Il se souvient de "la douleur à gérer
des funérailles en même temps qu’une personne qui tente
d’encaisser un devis exorbitant". "C’est très difficile pour les
familles qui ne connaissent pas grand-chose aux pompes funèbres.
Dans ce contexte, elles peuvent facilement se faire avoir",
indique Michel Kawnik, le président de l’AFIF. Aujourd’hui,
Hubert P. soutient qu’il n’exerce plus. Tout juste, il convient
d’occuper une activité de "conseil". Via une plateforme
internet, "protection-funeraire-generale.fr",
il prodigue une "assistance funéraire" pour "vous faire
économiser sur les frais d’obsèques". Plusieurs tarifs sont
avancés : 50€ pour une "assistance téléphonique", 150 € pour la
formule "conseil obsèques" et 250€ pour "assister physiquement"
les proches des défunts. Une nouvelle vitrine pour approcher de
potentiels clients ?
Hubert P. a créé de nouvelles sociétés de pompes
funèbres. Sa mère de 90 ans apparait comme "responsable en
France"
Dans une toute récente affaire, un particulier a porté plainte
cet été contre lui. Hubert P. sera jugé pour "escroquerie" le 16
avril prochain par le tribunal correctionnel de Paris. Il lui
est notamment reproché d’avoir agi en qualité de gérant de sa
société "e-pompes funèbres directes", alors qu’elle n’avait pas
d’habilitation préfectorale. "C’est faux, je ne m’occupais que
de la partie marbrerie. Je n’ai servi que d’intermédiaire pour
l’entreprise de pompes funèbres", conteste-t-il. Persuadé de son
"bon droit", il a d’ailleurs décidé de se séparer de ses
avocats. Hubert P. le promet : il ira plaider lui-même sa cause
devant la 24e chambre correctionnelle.
WILLIAM MOLINIÉ
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