Le gouvernement s'est résolu à mettre un peu d'ordre chez les
croquemorts. A partir du 1er janvier 2011,
les sociétés de pompes funèbres auront l'obligation de rédiger leurs
devis à partir d'un modèle type détaillant les prestations
obligatoires et facultatives. « C'est une grande
victoire, une garantie de meilleure transparence », exulte
le sénateur socialiste Jean-pierre Sueur, auteur de nombreux
rapports sur la question. Les associations de consommateurs ne sont
pas aussi enthousiastes. « Le modèle comporte de
nombreuses imprécisions dans lesquelles n'hésiteront pas à
s'engouffrer les opérateurs », relève Charlotte
Dekeyser, juriste à l'UFC-Que Choisir, qui va déposer un recours
contre le texte du ministère de l'Intérieur. Le nombre d'agents
funéraires n'est pas mentionné, les frais de transport ne sont pas
distingués des charges de personnel, ou encore l'avance des frais de
culte ne donne pas lieu à une facturation. Autant d'éléments qui
permettraient aux sociétés funéraires de continuer à facturer à leur
guise et d'augmenter la note au passage.
Grand écart
tarifaire
Car c'est bien là l'essentiel du problème. La
mort a un prix. C'est même un business particulièrement rentable.
Les familles dépensent aujourd'hui en moyenne 4 000 euros pour
l'organisation d'obsèques (hors frais de concession et de
marbrerie), en hausse de 35 % en dix ans. « C'est
deux fois plus que l'inflation sur la même période », relève
François Michaud Nérard, le directeur général des services
funéraires de Paris. Depuis la libéralisation du secteur en 1993, le
nombre d'opérateurs a explosé, mais la concurrence n'a pas permis de
faire baisser les prix. Au contraire. Pour Michel Kawnik, président
de l'Association française d'information funéraire, «
les entreprises profitent de la vulnérabilité des familles ». Dans
pareilles circonstances, « personne ne songe à
faire une étude de marché détaillée, les professionnels le savent », ajoute
François Michaud Nérard. Pas étonnant que les deux leaders du
marché, Pompes funèbres générales (PFG) et Roc Eclerc - contrôlés
par des fonds d'investissement dégagent des taux de rentabilité de
l'ordre de 20 %.
La technique consiste à entretenir le flou dans
la tarification. Résultats : les prix font le grand écart pour des
prestations comparables. D'après UFC-Que Choisir, qui s'est plongée
en 2008 dans le magma des grilles tarifaires, le montant pour
l'ouverture ou la fermeture d'un caveau varie de 90 à ... 844 euros
! Quant au « maître de cérémonie », dont le rôle n'est pas toujours
très clair, sa prestation est facturée entre 48 et 390 euros.
Multiplication des services
Championnes de
la vente, ces sociétés débordent d'imagination pour pousser les
familles à la dépense. « Elles donnent le minimum
de renseignements au téléphone et préfèrent les rendez-vous en tête
à tête avec un commercial », assure Michel Kawnik,
fin connaisseur du milieu. En agence ou au domicile du particulier,
le vendeur, que les pompes funèbres nomment pudiquement «
accompagnateur », présente un catalogue ou fait
visiter la vitrine des cercueils. Comme pour la vente de voitures,
la différence se mesure dans les options. Car l'argument-choc de ces
sociétés, c'est la personnalisation des obsèques. Tout est fait pour
faire croire à la famille que ses funérailles seront différentes de
celles du voisin.
Le choix du cercueil est stratégique. Car c'est
encore sur ce produit que les sociétés dégagent le plus de marge. «
Entre le coût de fabrication et la commercialisation d'un cercueil,
le coefficient multiplicateur peut aller de 4 à 6 », révèle
François Michaud Nérard. Tout est bon pour faire grimper la facture
: essences de bois noble, multiplication des poignées de porteurs
(alors que quatre suffi sent), sans compter l'habillage intérieur :
capiton et oreiller pour assurer un maximum de « confort ». Même les
« cachesvis » sont désormais facturés.
Mais ce n'est plus
l'essentiel aujourd'hui. « Il y a quinze ans, le
cercueil pesait pour 50 % du prix. Aujourd'hui, il représente à
peine 30 % », note un porte-parole de PFG. Comme
dans d'autres secteurs, pour gagner de l'argent, on invente des
services. Les sociétés facturent, par exemple, les démarches
administratives. « La loi de 2008 les a pourtant
considérablement réduites : elles sont passées de cinq formalités à
une seule », s'étonne le sénateur Jean-Pierre
Sueur. Ce n'est pas encore le plus coûteux. Alors que rien
n'interdit aux familles de conserver leur défunt à domicile et que
le délai légal d'enterrement est de six jours, la stratégie des
pompes funèbres consiste à transférer le plus rapidement possible le
corps en chambre funéraire. Une fois que la dépouille y est
installée, elles facturent 125 euros par jour en moyenne.
Complicité des hôpitaux
Aujourd'hui, 80 % des
décès ont lieu dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Les
sociétés de pompes funèbres passent des accords avec ces
établissements pour qu'ils aiguillent leurs morts vers leurs
chambres funéraires. Normalement, les frais de chambre funéraire
doivent rester à la charge des maisons de retraite pendant les trois
premiers jours d'admission. En fait, « elles font
comme si les familles avaient réclamé ce transfert », s'insurge
Charlotte Dekeyser, d'UFC-Que Choisir. Y compris dans les maisons
enregistrant plus de 200 décès par an, qui ont l'obligation d'être
équipées en chambres funéraires. Ces petits arrangements sur le dos
des morts vont parfois assez loin. La régie municipale funéraire de
Lyon a ainsi été condamnée en 2008 à 50 000 euros d'amende pour
avoir passé des accords avec certains établissements hospitaliers de
la ville. Avec un pied au conseil d'administration de l'hôpital et
l'autre à la régie funéraire, il était facile pour la mairie de
contrôler le marché. PFG n'est pas en reste : sur la seule année
2004, l'entreprise est condamnée à 580 000 euros d'amende pour
entente.
Pourtant très encadré, le secteur semble faire l'objet
d'une surveillance relâchée. Le dernier rapport du Conseil national
des opérations funéraires remonte à 2005. Et ce document ne fait
état que de cinq mesures disciplinaires. Un peu léger au regard des
11 000 habilitations accordées chaque année par les préfectures. Le
Conseil recommandait toutefois aux préfets de renforcer les
contrôles. Il serait temps.
Thiébault Dromard