La prévoyance funéraire. Une logique assurantielle en développement
Sociologue-anthropologue
Chargée de cours, université de Rennes 2
Formatrice en Institut de Formation en Soins Infirmiers
Formatrice en Institut de Travail Social
Notre société a
progressivement bénéficié, à partir de 1945, de la mise en place de l’Etat
providence permettant l’accès à la plupart de la population aux
protections sociales qui couvrent les principaux
risques susceptibles d’entrainer une dégradation
de la situation des individus comme la maladie, l’accident, la vieillesse
impécunieuse, les aléas de l’existence pouvant aboutir à la limite de la
déchéance sociale. En parallèle, s’est développé d’une façon exponentielle
un système d’assurances visant à se prémunir, cette fois individuellement
et à titre privé, de certains autres risques. Parmi eux, la « prévoyance
funéraire » a progressé rapidement à partir des années 1990, répondant à
des changements tant familiaux que communautaires et sociétaux qui amènent
à de nouvelles perceptions de la mort.
Une logique assurantielle…. Pourquoi ?
Jusqu’au milieu du XXème siècle, le remplacement
des générations était l’euphémisme par lequel il était signifié que les
vivants prenaient la place des morts. La religion, très encadrante,
incitait à préparer ici-bas son au-delà, par la prière et la dévotion…,
par des legs à l’Eglise… La principale préparation était donc une vie de
labeur et de piété afin de se préparer au Jugement dernier.
La religion a perdu son
caractère englobant et la société s’est sécularisée. Dans une logique
économique de plus en plus poussée, les formules assurantielles visant à
préparer ses funérailles vont répondre à ces changements de mentalité et
de société. D’où une multiplication des produits autour de la prévoyance
funéraire[1]
qui conduit le législateur, encouragé par des associations[2],
à prendre des mesures pour éviter les abus.
Pourquoi ?
Le développement de l’Etat
Providence a fait que ne repose plus sur la famille, l’assistance
matérielle envers ses membres âgés. Les échanges affectifs y deviennent
alors plus prépondérants. Les personnes âgées ne sont donc pas
délaissées : une majorité de personnes prennent en charge leurs parents
âgés quand ils ont des difficultés à vivre seuls ; le placement en
institutions intervient souvent dans des cas limites. De leurs côtés, la
« famille affective » fait naitre de nouveaux comportements : nos aînés
envisagent de plus en plus de préparer de leur vivant leurs funérailles
pour ne pas « gêner » leurs proches le moment venu.
Depuis les années 1990,
nous assistons à une extension de ses produits : ils étaient d’abord
destinés à des personnes seules, souvent sans descendance directe, qui
craignaient donc d’être enterrées à la « va vite » Ce sont alors surtout
des femmes seules, célibataires ou veuves, qui ont été intéressées par ce
type de contrat. Ensuite, les entreprises de pompes funèbres ont souhaité
élargir leur clientèle et ont alors proposé des formules assurantielles
visant à capitaliser pour préparer ses funérailles. Les changements
législatifs ont ensuite été votés afin de différencier ce qui relève des
compagnies d’assurance de ce qui relève des entreprises de pompes
funèbres.
Les contrats
Il existe 2 grands types de contrats : le premier vise à prévoir
exclusivement
le financement des obsèques tandis que
le second regroupe tant le financement que l’organisation minutieuse des
funérailles. Avec la multiplication des formules visant à préparer ses
obsèques, il règne un certain flou entre ce qui relève d’une
capitalisation sans que les sommes soient réservées à l’organisation des
funérailles et la prévoyance funéraire qui propose des « formules de
financement en prévision d’obsèques », « contrat de prévoyance
funéraire », « contrat en prévision d’obsèques », « contrat d’assurance
obsèques », « testament ».
a) Les contrats de prévoyance…
Produit d’assurance vie dont le bénéficiaire est
une personne désignée, ce type de contrat n’offre aucune future garantie
de bonne réalisation des obsèques désirées au jour de la souscription. Il
n’y a pas de détails de toutes les prestations et accessoires mais le
choix d’un montant prévu pour financer ses obsèques. C’est alors par le
biais du testament que peuvent être mentionnées les volontés
particulières.
Le contrat décès[3]
est une assurance qui oblige donc à cotiser chaque mois pour qu’un capital
soit versé au décès du souscripteur soit à une entreprise de pompes
funèbres si elle est désignée comme premier bénéficiaire du contrat, sinon
aux proches.
Le contrat épargne-obsèques est une
assurance vie classique assortie d’une clause obsèques. Les souscripteurs
versent en une ou plusieurs fois une prime qui servira, au moment du
décès, à payer les obsèques du souscripteur : le reliquat étant versé au
bénéficiaire du second rang désigné dans le contrat.
Les compagnies d’assurance
prennent également en compte l’évolution des modèles familiaux. C’est
ainsi qu’elles proposent un contrat de vie intergénération qui s’effectue
par le biais d’un contrat assurance vie souscrit
au nom de l’enfant ou du petit enfant tout en pouvant garder un droit de
regard sur l’utilisation des sommes données.
Jusqu’où… ?
Dans cette course à la
« prévoyance », il est proposé également des contrats entretien de
sépulture, qui garantissent l’exécution de prestations demandées par le
souscripteur dans un descriptif, dans la limite des sommes mises à
disposition. Sont également proposées des assurances pour la prise en
charge de l’animal de compagnie…
b)
Les contrats en prévision d’obsèques
Ils permettent de prendre, de son vivant, des
dispositions concernant ses funérailles : culte ou convoi civil,
inhumation ou crémation, prestations funéraires choisies et tous les
autres frais : corbillard, marbrerie, église, cimetières, taxe de
crémation, articles funéraires, messes de souvenir…; et de régler leur
coût une fois pour toutes.
Il s’agit donc de préparer, dans les moindres
détails, l’organisation de ses propres obsèques. La cérémonie d’obsèques
respectera les prestations et les produits inscrits sur le devis. Aucun
surcoût ultérieur ne pourra être demandé, quelle que soit la date du
décès.
L’implication de la personne ou du
couple de personnes qui décident de ce choix est très forte puisqu’elles
vont choisir leur propre cercueil, rédiger parfois leur propre avis
d’obsèques… Certaines d’entre elles disent que la décision de se déplacer
dans l’entreprise de pompes funèbres pour ces démarches a été difficile à
prendre ; souvent elles ont mal dormi ; d’autres ont eu des diarrhées…Les
employés de pompes funèbres essaient de rassurer leur « client » par des
formules comme « ça ne fait pas mourir »….
La loi du 10 décembre 2004
offre la possibilité au souscripteur de modifier son contrat à tout
moment, tant sur la nature
des obsèques, le mode de sépulture, le
contenu des prestations, la société de pompes funèbres habilité et
désignée pour exécuter les obsèques, le mandataire désigné pour veiller à
la bonne exécution des volontés exprimées.
Dans les faits, la décision a été longuement
réfléchie en amont, et l’implication est tellement forte que les
souscripteurs modifient rarement ce qui a été longuement détaillé lors du
devis. Beaucoup disent qu’une fois que cela a été fait, il ne faut plus
trop y penser.
Aujourd’hui, environ 15% des décès sur un nombre total de 540 000 en 2002, sont couverts par un contrat obsèques. Ce marché a augmenté de 35% entre 2001 et 2002. Un sondage réalisé en octobre 2003[4] montre que 87% des personnes interrogées n’estiment pas choquant de prendre de son vivant des dispositions pour organiser leurs funérailles ; 48% d’entre elles estiment important d’être déchargé de l’organisation des obsèques. A la palette de contrats obsèques s’ajoute les « prévoyances capital funéraire » qui, loin d’être aussi minutieuses dans les descriptifs des prestations assurent le paiement des frais résultant du décès de l’adhérent ou du majeur sous protection juridique. Elles garantissent donc aux souscripteurs que la charge financière liée aux obsèques n’incombera pas aux proches, tout en leur laissant le choix de l’organisation. C’est une manne financière très importante pour les compagnies d’assurance et les entreprises de pompes funèbres. Les sommes investies dans ce type de produit est en moyenne 25% supérieure au règlement des funérailles au jour du décès. Se pose alors la question du deuil des proches pour les contrats en prévision d’obsèques : organiser les funérailles d’un proche inscrit dans le long processus de deuil. En ne voulant pas « déranger » ses proches par la souscription à cette formule, n’est-ce pas retarder l’entrée dans le processus de deuil.
[1]
Une concurrence très forte se développe tant entre les multiples
compagnies d’assurance -nationales et internationales-, qu’entre
les entreprises de pompes funèbres.
[2]
Face à certains abus, des associations vont se mobiliser :
certaines sont « spécialisées » sur la crémation ; d’autres
s’inscrivent dans une démarche d’information et de défense des
personnes en situation de deuil ; ainsi
L’Association Française d’Information Funéraire
(http://www.afif.asso.fr).
[3]
Il est appelé également « garantie obsèques » ou « convention
obsèques ».
[4] Sondage réalisé auprès d’un échantillon national de 1000 personnes représentatif de l’ensemble de la population âgée de 18 ans et plus, par l’institut TNS Sofres.