La
mort : un commerce comme les autres ? Du croque mort à
l’assistant funéraire.
Approche socio-anthropologique.
par Madame Laurence Hardy
Sociologue-anthropologue
Chargée de cours, université de Rennes 2
Formatrice en Institut de Formation en Soins Infirmiers
Formatrice en Institut de Travail Social
Les
pratiques sociales de neutralisation de la mort se transforment. L’Eglise
catholique continue à jouer un rôle important puisque environ 80% des
obsèques sont religieuses. Cependant, elle a perdu son « pouvoir
totalisant » [1] du fait du changement des mentalités et des
sensibilités. Le Concile de Vatican en 1972, le déplacement progressif
du lieu de la mort du domicile en institution hospitalière,
transforment aussi les rites mortuaires tandis que la place de la
« communauté » villageoise ou de quartier autour du mort et
de ses proches s’amenuise. Des professionnels de la mort vont alors
« prendre le relais » : pour l’organisation du convoi
funèbre, pour les soins de présentation du mort, pour
l’ordonnancement des cérémonies… La loi du 8 janvier 1993, qui
s’applique totalement en 1998, abroge le monopole communal des pompes
funèbres établi en 1904. Elle redéfinit la mission de service
public qui s’applique au service extérieur des pompes funèbres et
veut protéger les familles et mettre en œuvre une vraie transparence
des prix. La commercialisation de la mort s’inscrit dans le sens
d’un accompagnement personnalisé des proches endeuillés et d’une
personnalisation des cérémonies [2]. La fidélisation de la « clientèle »
passe par de nouveaux produits qui ne s’inscrivent plus uniquement sur
la durée des funérailles mais bien avant, par des contrats obsèques,
et jusqu’après le décès, par des suivis de « clientèle ».
De la « pompes » à un
« accompagnement commercial »
Jusque
dans les années 1975-1980 [3], en application de la loi de 1904 qui a établi
trois services distincts : le service extérieur, monopole des
communes jusqu’en 1998 ; le service intérieur qui relève du
culte et le service libre se rapportant davantage sur les accessoires
(croix, poignées, capiton…) ; l’organisation des funérailles
est basée sur un système de classes
d’honneur : il existe trois à quatre classes d’honneur qui
mettent en œuvre un décorum particulier tant à l’Eglise qu’au
niveau du service extérieur, un nombre de prêtres, diacres…
variable, un luminaire plus ou moins important, un corbillard
diversement orné.... L’accès à telle ou telle classe d’honneur
est lié aux possibilités financières et au statut social du défunt
et de sa famille. Les entreprises de pompes funèbres ont alors comme
principal but commercial de proposer de la « pompe »
en fonction de la classe de cérémonie.
A
la suite de Vatican II, les classes d’honneur à l’Eglise
disparaissent lentement, se répercutant sur la « pompe »
qui tend à s’uniformiser. Les entreprises de pompes funèbres vont
alors offrir d’autres « services » d’une part et
proposer d’autres formes de personnalisation qui ne vont plus
passer exclusivement par la « pompe » [4] mais par un élargissement
des ustensiles et des prestations proposées : la gamme de
cercueils s’élargit, la couleur du capitonnage et leur façonnage
multiplient les choix, les accessoires sont de plus en plus nombreux.…
Les prestations se développent dans les années 1990-1995 jusqu’à
aujourd’hui. Ce sont une réponse commerciale à des demandes
pressentes de familles endeuillées qui se sentent démunies au moment
de la mort : elles demandent à ce que les funérailles de l’être
cher soient personnalisées : les professionnels de la mort vont
« remplacer » certains membres de la communauté qui étaient
présents pour la toilette mortuaire, pour tenir les cordons du poêle…
Le mode d’obsèques – religieuses ou civiles ; inhumation ou
crémation -,
et la possibilité de « choix » [5] entraîne une demande
d’accompagnement des familles endeuillées. Cette demande est
d’abord timide, pour les obsèques civiles puis plus forte pour la crémation.
Aux entreprises de pompes funèbre de « recréer de la pompe »
pour ces cérémonies. Elles y répondent progressivement.
La « personnalisation » de l’avant décès
A
côté des funérailles, les entreprises de pompes funèbres proposent
des contrats obsèques qui visent à organiser de son vivant ses funérailles,
dans les moindres détails. Des spots publicitaires sont diffusés dans
l’après-midi, parfois le soir et, sans jamais prononcer le mot mort,
montrent l’importance d’une telle démarche afin de ne pas « gêner »
ceux qui restent. La personnalisation est poussée à l’extrême
puisque la personne qui entreprend cette démarche choisit son cercueil,
son capiton, les accessoires (poignées, croix…), s’il y aura une
thanatopraxie, rédige son propre avis d’obsèques… avec
l’assurance que ces choix seront respectés. Une association
s’assure du respect de ces choix.
La
diffusion de ces produits passent également par l’installation de
pupitres publicitaires ventant ces produits, dans les maisons de
retraite…
Et
bien plus qu’une campagne publicitaire, lorsqu’une personne souscrit
à ce type de contrat, on l’invite à en parler autour d’elle… Le
bouche à oreille fonctionne très bien pour la diffusion de ces
produits, surtout qu’il s’agit de toucher une population
relativement âgée peu sensible aux autres modes de diffusion.
Plus
globalement, l’interdit publicitaire qui a pesé sur cette profession
n’a pas du tout été un frein à la fidélisation de la « clientèle ».
Le « nom » du marbrier et de l’entreprise de pompes funèbres
passe d’une génération à l’autre sans qu’il y ait une volonté
de « faire jouer »la concurrence. Certaines demandes vont
d’ailleurs dans le sens d’un « film » : avoir le même
cercueil pour son père et sa mère par exemple, même si plus de dix
ans séparent les deux décès. Reste qu’à côté de cette demande,
l’éventail des accessoires d’ornement s’est élargi ces
vingt dernières années tant au niveau des motifs –auparavant soit
religieux soit floraux- que des matériaux et des couleurs…
encourageant la personnalisation. La « mode » funéraire
passe d’ailleurs –contrairement à d’autres modes- du monde rural
au monde urbain : c’est dans le monde rural que l’attachement
au culte des cimetières… est le plus fort ; cet attachement rime
avec personnalisation des accessoires et des matériaux. S’il n’y a
plus de distinction par la classe d’honneur, elle passe par le
« mobilier » funéraire. La mode passe ensuite à la ville.
Les
grands groupes de pompes funèbres proposent, par Internet, des devis
types et des informations pratiques telles que les formalités à
accomplir, les types de cérémonies… Il y a une volonté de ne pas être
perçu comme des « commerçants » mais comme des « accompagnants »
des familles endeuillées.
Le
« commerce de la mort » n’a toujours pas bonne réputation
dans notre société et ce, peut-être d’autant de plus que la mort,
qui a toujours été tabou, reste tout aussi sinon plus inacceptable
dans notre société où les progrès de la médecine ont pu faire
croire qu’on allait la « vaincre ». Les entreprises de
pompes funèbres, avec l’obligation législative de formation du
personnel d’une part et l’ouverture - quelque peu illusoire -
à la concurrence avec la remise en cause du monopole municipal, vont
tenter par le biais de la publicité, de sites internet, de « rafraîchir »
leur image de « croque-mort » [6]. Ils vont également répondre
à une demande très importante des familles qui, ayant perdu leurs repères
religieux parfois, leur demandent d’assurer une organisation de funérailles
personnalisée révélant ce que le défunt aimait et ce que ce décès
représente en termes de perte pour les proches. Le rapport
entreprise-client tend à s’élargir : d’un « avant »
avec les contrats obsèques, un « pendant » avec la
personnalisation des funérailles, il y a une proposition « d’après »
avec un suivi des démarches à accomplir à la rencontre avec des
associations d’accompagnement au deuil : la cooptation se développe.
Les
« professionnels » de la mort insistent sur le fait que la
mort certes est un commerce, mais que ce n’est pas un commerce comme
les autres. Pourtant, les sommes d’argent mobilisées sont énormes
et les moyens de communication mis en œuvre se rapprochent de plus en
plus de tout autre commerce. Reste que la personnalisation de la mort a
pour principale conséquence une perte de sens
collectif au sens de rituel mortuaire pour aller vers des cérémonies
individualisées.
Ce « pouvoir totalisant » s’inscrit dans la place
qu’occupe l’Eglise jusque dans les années 1975-1980 –avec de
grandes variations d’un lieu à l’autre-, au quotidien et lors
des « rites de passage » dont celui de la mort. C’est
elle qui accorde ou non l’Extrême Onction peu avant la mort,
c’est elle qui autorise ou non les funérailles religieuses et qui
détermine la classe d’honneur de la cérémonie…. Elle doit
s’ouvrir à d’autres formes de funérailles : la crémation…
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Il ne s’agit plus d’un
rite donnant sens à la mort mais d’une cérémonie centrée sur
le défunt.
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C’est beaucoup plus tardif en milieu rural car un clergé plus
traditionaliste va refuser d’appliquer les décisions prises lors
de Vatican II comme l’usage
de la langue vernaculaire, l’amoindrissement du côté macabre des
cérémonies : la parole doit insister sur l’espoir ; il
y a transformation de l’extrême onction en onction des malades…
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Dans les années 1985, il est encore proposé deux types de décorum
avec une variation dans le nombre de chandeliers… Ce décorum
n’est plus visible à l’extérieur des maisons mais dans la pièce
où est exposé le défunt.
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Jusque dans les années 1980-1985, le choix d’obsèques civiles,
longtemps perçues comme une « punition » de l’Eglise
était vide de sens et ne durait que le temps de la descente du
cercueil en terre.
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Le croque mort devait
mordre l’orteil du mort pour s’assurer qu’il l’était réellement.
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