Président de l'Association française d'information funéraire, Michel
Kawnick a créé cette structure indépendante au début des années 90 pour exiger plus
de transparence sur le marché du funéraire où les escroqueries sont fréquentes. La
mort, c'est un vrai business ?
Michel Kawnick : Oui car c'est un marché qui répond à un besoin auquel tout le monde
est confronté un jour ou l'autre ! Avec 530 000 morts en France par an et 45 000 en
Rhône-Alpes, c'est une activité qui pèse aujourd'hui entre18 et 20 milliards de F.
Les acteurs de ce marché ?
Les pompes funèbres assurent l'essentiel de l'activité : la vente du cercueil, les
porteurs pendant la cérémonie et le transport du corps. Ce sont elles qui font les
démarches administratives. Il y aussi les marbreries funéraires.
Combien coûte un enterrement ?
On peut donner un prix moyen de 18 000 F. Le minimum étant de 2 500 F pour une simple
crémation.
Mais dans un même département ça peut varier de 1 à 3 en fonction de la concurrence et
de la taille des entreprises...
Comment expliquer ces différences ?
Là où la vie est chère, la mort est également chère. Exemple : entre Paris et le nord
de la France, les prix varient du simple au triple. C'est aussi vrai pour les concessions
des cimetières. Dans les grandes villes, il y a un problème de place. Du coup les tarifs
sont nettement plus élevés qu'en zone rurale.
Qu'est-ce qui coûte le plus cher dans un enterrement ?
Le cercueil, sauf en cas de crémation, et les honoraires des pompes funèbres. Ensuite
c'est le corbillard et les porteurs.
Puis tout ce qui est marbrerie, achat de concession, construction d'un caveau...
En fait l'activité funéraire est hyper rentable et les entreprises sur ce marché se
livrent une bataille acharnée.
Elles sont nombreuses sur ce créneau ?
Oui et ce sont surtout des petites entreprises familiales. Mais c'est un grand groupe qui
domine ce marché : les Pompes Funèbres Générales. Cette entreprise qui appartenait à
la Lyonnaise des Eaux a été revendue en 1995 au groupe américain SCI, spécialisé dans
le funéraire. Et à cette époque, le PFG faisaient partie des 35 sociétés les plus
rentables de France.
Combien les PFG pèsent aujourd'hui sur ce marché ?
Les PFG tiennent environ un quart du marché contre la moitié avant la loi Sueur
de 1993 qui a ouvert le marché funéraire à la concurrence et qui a mis fin au monopole
des municipalités.
L'origine de ce monopole ?
Une loi adoptée en 1904 qui avait pour ambition de protéger les familles endeuillées en
imposant aux municipalités de prendre en charge l'organisation des funérailles. Ce qui
était considéré comme une mission de service public. Certaines villes avaient laissé
jouer la concurrence, d'autres avaient créé des régies municipales pour assurer le
service public.
Mais la plupart avaient préféré déléguer cette activité à une entreprise privée.
Pourquoi ?
Parce que ça coûtait trop cher aux municipalités. Pour que cette activité soit
rentable, il fallait au moins trois obsèques par jour dans la commune. Seules les grandes
villes comme Lyon avaient mis en place des régies pour gérer eux-même ce service. Les
autres avaient préféré offrir la concession à une entreprise privée ou à une
société d'économie mixte.
Conséquences ?
Du coup, 85 % des gens étaient obligés de prendre des prestations et les produits au
tarif imposé par les sociétés concessionnaires sans pouvoir les discuter. Ce qui
revenait à une prise d'otage des familles.
Exemple ?
Dans la région Rhône-Alpes, sur 46 concessions accordées par les plus grandes villes,
35 appartenaient aux PFG.
Toutes les villes de plus de 10 000 habitants, c'est à dire les villes les plus rentables
étaient sous concession PFG.
Conséquences ?
Ça posait un double problème. D'une part, celui de la connivence entre les mairies et
les grands groupes auxquels elles accordaient ces concessions. Exemple : quelle
municipalité pouvait refuser à la Lyonnaise des eaux d'accorder une concession pour sa
filiale PFG ? Vu les moyens de pression, c'était difficile de résister ! Et puis à
cause du monopole, les prix étaient élevés du fait et les clients n'avaient pas le
choix.
Qu'est-ce qui a changé avec la loi de 1993 ?
Les PFG étaient un bulldozer programmé pour enterrer tous les Français. Aujourd'hui ce
n'est plus le cas. Ce groupe a perdu la moitié de son marché en quelques années. Mais
il essaie aujourd'hui de réagir.
Comment ?
En rachetant les entreprises qui leur font de la concurrence mais en les laissant exercer
leur activité sous leur nom. Du coup, aujourd'hui, les familles ne savent plus à qui
elles d'adressent. Mais les PFG et leurs filiales comme Roblot sont présentes dans tout
ce qui concerne le près ou de loin le funéraire : la fabrication de cercueils, les
marbreries, l'extraction du granit, mais aussi les sociétés qui gèrent des cimetières
et la moitié des crématoriums de France. Ce groupe a également une société
d'assurance, Auxia, qui propose des produits de prévoyance décès-obsèques et il gère
300 chambres funéraires privées comme 'la Maison funéraire",
"Funérarium", Athanée"...
Comment les PFG ont conquis cette position ?
En passant des accord avec des centres de soins, les cliniques, les maisons de retraite...
Les PFG proposent à ces institutions de prendre en charge le problème. Les PFG
récupèrent automatiquement la personne décédée dans les chambres funéraires privées
et font pression sur les familles pour organiser l'enterrement sans que les familles
sachent qu'elles peuvent choisir une autre entreprise.
Mais c'est tout à fait légal !
Non aujourd'hui, les conventions entre les centres de soins et des chambres funéraires
privées sont désormais interdites.
Les centres de soins ont l'obligation d'avoir leur propre chambre mortuaire et de garder
le corps pendant trois jours gratuitement afin que les familles aient le temps de choisir
leur entreprise de pompes funèbres.
Comment ça se passait concrètement ?
Quand vous aviez un décès dans votre famille, il arrivait que l'infirmier, l'employé de
la morgue ou même le responsable de l'Etat-Civil vous conseille de vous adresser à telle
ou telle entreprise de pompes funèbres. Il ajoutait : "Surtout allez-y de ma
part !" Ce qui bien sûr lui permettait de toucher une prime.
Vous avez des preuves ?
Bien sûr le business de la mort a encouragé un véritable système mafieux ! les
prestations n'étaient pas définies clairement, les devis étaient fantaisistes voir
trafiqués et on s'entendait pour éliminer toute concurrence. D'ailleurs la justice est
intervenue à plusieurs reprises. Des entreprises ont été condamnées à plusieurs
millions de F d'amende par le conseil de la concurrence.
Les corrompus risquent gros ?
De 6 mois à 2 ans de prison, jusqu'à 500 000 F d'amende, l'interdiction d'exercer et la
perte de droits civils, civiques et familiaux.
La loi de 1993 a eu d'autres conséquences ?
Oui elle a attiré de nouvelles sociétés, pas toujours très sérieuses d'ailleurs.
Exemple : la société Roc'Eclerc. C'est Michel-Marie Leclerc, un individu qui a toujours
eu des problèmes avec la justice, qui a monté cette société. Il s'est servi d'une
publicité parasitaire sur le nom des Leclerc pour faire croire que ces différents
magasins appartenaient à la chaîne de grande distribution.
C'était faux ?
Oui, totalement. D'ailleurs un grand nombre de ses franchisés ont fait des faillites
frauduleuses. Le réseau n'était pas organisé : il n'y avait pas de centrale d'achat, ni
de suivi, ni de professionnalisme... ceux qui ont adhéré à ce système voulaient avant
tout profiter de l'aspect médiatique. Et leur produits ne sont pas moins chers.
Finalement cette loi n'a rien de positif ?
Si. Les prix ont baissé en moyenne de 15 %. Et les entreprises de pompes funèbres ont
dû améliorer la qualité de leurs prestations, de leurs services pour rattraper leurs
retard. Mais cette loi n'a pas provoqué une révolution comme ça a été le cas dans le
transport aérien et le téléphone.
Pourquoi ?
Parce que malgré la fin du monopole, on est encore loin de la transparence et d'une
véritable concurrence. Or c'est justement un marché qui exige que les entreprises soient
particulièrement exigeantes sur le plan éthique, car les clients sont par définition
des gens affaiblis donc facilement manipulables. En revanche, rien n'interdit aux
sociétés commerciales de faire leurs métier.
La solution ?
A ce jour il n'existe aucune norme, aucune certification dans ce secteur contrairement à
l'Angleterre où il y a un diplôme.
Il n'y a pas non plus de formation particulière. Mais pour s'installer comme entrepreneur
de pompes funèbres, il faut obtenir une habilitation de la préfecture. Pour cela il faut
avoir un casier judiciaire vierge et une simple attestation de stage. C'est un début mais
c'est totalement insuffisant.
Comment éviter de se faire escroquer ?
Quant un proche meurt dans votre famille, il ne faut pas réagir en urgence. Il faut
prendre le temps de demander des devis d'entreprises, de les analyser et de choisir une
entreprise en toute connaissance de cause.
Vous trouvez normal d'avoir une attitude consumériste face à la mort ?
Ce n'est pas en payant un cercueil deux fois trop cher qu'on prouve son attachement à
celui qui vient de mourir.
D'ailleurs aujourd'hui, les familles qui se font escroquer, n'hésitent pas à dénoncer
les entreprises. Sur le site Internet de notre association, on reçoit un certain nombre
de plaintes.
Exemples ?
Certaines familles se retrouvent sans porteur pour la cérémonie, avec des cercueils
fendus, des défunts qui ne sont pas habillés... Sans parler des arnaques financières,
des surfacturations...
Comment réagir ?
Il ne faut pas hésiter à porter plainte. C'est d'ailleurs la seule solution pour
assainir le marché et mettre les pouvoirs publics devant leurs responsabilités. |