Etude de législation comparée n° 184 - avril 2008 - Les enfants nés sans vie

            Source sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/lc/lc184/lc1840.html

 

SERVICE DES ETUDES JURIDIQUES (Avril 2008)

NOTE DE SYNTHÈSE

En France, lorsqu'un enfant décède avant que sa naissance n'ait été déclarée à l'état civil, le code civil distingue deux cas. Cette distinction a été introduite par la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 relative à l'état civil, à la famille et aux droits des enfants.

Si un certificat médical atteste que l'enfant est né « vivant et viable », l'officier d'état civil établit un acte de naissance ainsi qu'un acte de décès, et la naissance est mentionnée sur le livret de famille. L'enfant reçoit un nom et un prénom. Son inhumation ou sa crémation - est obligatoire. Les droits sociaux liés à toute naissance sont octroyés aux parents. La mère bénéficie ainsi d'un congé de maternité. La notion de viabilité a été précisée par la circulaire n° 50 du 22 juillet 1993 relative à la déclaration des nouveau-nés décédés à l'état civil : conformément aux recommandations de l'Organisation mondiale de la santé, les enfants pesant au moins 500 grammes ou nés après 22 semaines d'aménorrhée sont présumés viables, indépendamment de tout autre critère.

En l'absence de certificat médical attestant que l'enfant est né « vivant et viable », l'officier d'état civil n'établit qu'un acte d'enfant sans vie. La circulaire n° 2001-576 du 30 novembre 2001 relative à l'enregistrement à l'état civil et à la prise en charge des corps des enfants décédés avant la déclaration de naissance précise que cette procédure s'applique, d'une part, aux enfants nés vivants, mais non viables, et, d'autre part, aux enfants mort-nés après un terme de 22 semaines d'aménorrhée ou ayant un poids d'au moins 500 grammes. L'enfant, qui n'acquiert pas la personnalité juridique et n'a pas de nom de famille, peut être mentionné sur le livret de famille si les parents le souhaitent. Il peut recevoir un prénom. De plus, les parents disposent de dix jours pour réclamer le corps et organiser des obsèques. Sinon l'établissement hospitalier fait le nécessaire.

En revanche, un enfant mort-né avant 22 semaines d'aménorrhée et ayant un poids de moins de 500 grammes a le statut de « pièce anatomique ». Il fait l'objet d'une simple déclaration administrative. Aucun acte d'état civil n'est établi, l'établissement de soins pouvant néanmoins fournir aux parents qui le souhaitent un certificat d'accouchement d'un enfant né mort et non viable. Le corps est incinéré par l'établissement médical, à moins que les parents ne le réclament pour le faire inhumer ou incinérer.

Or, le 6 février 2008, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu trois arrêts dans lesquels elle a précisé la notion d'enfant né sans vie. Elle a en particulier supprimé les seuils à partir desquels la reconnaissance du statut d'enfant sans vie est possible. Elle a en effet estimé que le code civil ne « subordonn[ait] pas l'établissement d'un acte d'enfant sans vie au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse ». Par conséquent, « tout enfant né sans vie à la suite d'un accouchement peut être inscrit sur les registres de décès de l'état civil, quel que soit son niveau de développement. »

Alors que la révision des lois de bioéthique est annoncée pour l'année 2009, cette décision, qui peut apparaître comme un appel au législateur, conduit à s'interroger sur les dispositions étrangères équivalentes.

La présente étude examine donc le statut des enfants décédés avant que leur naissance n'ait pu être enregistrée, qu'ils soient nés vivants ou non, et indépendamment de la durée de la grossesse.

Pour chacun des pays retenus, l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Grande-Bretagne, l'Irlande, les Pays-Bas et la Suisse, les points suivants ont été examinés :

la définition de l'enfant mort-né, c'est-à-dire de la limite légale de viabilité, ce qui permet de différencier une naissance d'une fausse couche et d'établir la distinction entre un enfant inscrit à l'état civil et un fœtus assimilé à une pièce anatomique ;

- les conditions d'inscription à l'état civil des enfants juridiquement considérés comme mort-nés ainsi que des autres enfants décédés avant que leur naissance n'ait pu être enregistrée, y compris des enfants nés sans vie avant d'avoir atteint la limite légale de viabilité ;

- la possibilité pour les parents d'organiser des obsèques pour les enfants nés sans vie, qu'ils aient ou non atteint la limite légale de viabilité ;

le congé de maternité des mères qui ont donné naissance à ces enfants.

Lorsque la législation assimile l'enfant décédé avant l'enregistrement de sa naissance à un enfant né vivant et encore en vie lors de la déclaration de naissance, ces divers points n'ont pas été développés, puisque le droit commun s'applique alors.

L'examen des dispositions étrangères montre que :

- la définition de l'enfant mort-né résulte de la loi dans tous les pays étudiés, sauf en Allemagne, en Belgique et en Suisse ;

cette définition varie d'un pays à l'autre ;

- les enfants mort-nés sont peu à peu dotés d'éléments d'état civil, à la différence des enfants nés sans vie avant d'avoir atteint la limite légale de viabilité.

1) La définition de l'enfant mort-né résulte de la loi dans tous les pays étudiés, sauf en Allemagne, en Belgique et en Suisse

a) La définition de l'enfant mort-né résulte de la loi en Autriche, au Danemark, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Irlande et aux Pays-Bas...

L'enfant mort-né est défini par la loi sur la profession de sage-femme en Autriche, par la loi sur le système de santé au Danemark, par la loi sur les registres d'état civil en Espagne, par une loi spécifique en Grande-Bretagne, par la loi sur l'enregistrement des enfants mort-nés en Irlande et par la loi sur les pompes funèbres aux Pays-Bas.

b) ... et du règlement en Allemagne, en Belgique et en Suisse

Il s'agit en Allemagne de l'ordonnance prise pour l'application de la loi sur l'état civil, en Belgique d'une circulaire du ministère de l'intérieur de 1848, et en Suisse de l'ordonnance sur l'état civil.

2) La définition de l'enfant mort-né varie d'un pays à l'autre

Certains textes recourent au seul critère du poids ; d'autres subordonnent la qualification d'enfant mort-né à la durée de la gestation ; d'autres encore combinent les deux critères.

a) L'Allemagne et l'Autriche définissent l'enfant mort-né uniquement par le poids à la naissance

Dans ces deux pays, l'enfant né sans vie est qualifié d'enfant mort-né s'il pèse au moins 500 grammes.

Si l'enfant a manifesté quelque signe de vie que ce soit à la naissance, il est considéré comme un né vivant, indépendamment de tout autre critère, comme sa viabilité, son poids ou la durée de la grossesse.

b) La Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas définissent l'enfant mort-né en fonction de la durée de la gestation

La durée minimale de grossesse qui permet de qualifier l'enfant né sans vie d'enfant mort-né varie d'un pays à l'autre. Elle est de 180 jours en Belgique ; de « approximativement » 180 jours en Espagne ; de 24 semaines aux Pays-Bas ainsi qu'au Royaume-Uni ; de 22 semaines au Danemark, où elle s'établissait à 28 semaines jusqu'au 1er avril 2004.

En revanche, les enfants qui manifestent un signe quelconque de vie à la naissance et qui naissent après une grossesse supérieure au délai légal de viabilité sont considérés comme nés vivants, sauf en Espagne, où, pour être réputé né vivant, l'enfant doit avoir « figure humaine » et vivre « 24 heures entièrement détaché du sein maternel », faute de quoi il est assimilé à un enfant mort-né.

c) L'Irlande et la Suisse définissent l'enfant mort-né en fonction d'un double critère

Conformément aux recommandations de l'Organisation mondiale de la santé, la définition suisse de l'enfant mort-né qui a été adoptée en 2004 retient deux critères : le poids, au moins 500 grammes, ou la durée de la gestation, au moins 22 semaines « entières », c'est-à-dire 22 semaines d'aménorrhée. Auparavant, un seul critère, était retenu : la durée de la grossesse, qui devait dépasser six mois.

L'Irlande recourt également à un double critère de poids (au moins 500 grammes) ou de durée de grossesse (au moins 24 semaines).

Les enfants qui naissent sans vie, mais sans remplir aucun des deux critères de poids et d'âge, ne sont pas considérés comme mort-nés. En revanche, ceux qui manifestent quelque signe de vie que ce soit à la naissance sont réputés nés vivants.

3) Les enfants mort-nés sont peu à peu dotés d'éléments d'état civil, mais pas les enfants nés sans vie avant d'avoir atteint la limite légale de viabilité

a) Dans aucun pays, les enfants mort-nés n'acquièrent la personnalité juridique, mais ils sont progressivement dotés d'éléments d'état civil

Les enfants juridiquement considérés comme mort-nés sont inscrits à l'état civil, dans des conditions variables selon les pays : au registre des naissances avec mention du décès (Allemagne par exemple), au registre des décès (Belgique et Pays-Bas par exemple), ou sur un registre particulier (notamment en Espagne et en Grande-Bretagne).

Cette inscription ne leur confère pas la personnalité juridique, mais elle peut s'accompagner, au moins pour les parents qui le désirent, de l'octroi de certains éléments d'état civil : un prénom, et, plus rarement, un nom. Ainsi, dans tous les pays étudiés sauf en Espagne, les enfants mort-nés peuvent recevoir un prénom. Un nom peut également leur être attribué en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Irlande, aux Pays-Bas et en Suisse.

L'Allemagne et l'Irlande constituent deux exemples significatifs de la volonté de doter les enfants mort-nés d'un statut.

En Allemagne, jusqu'au 30 juin 1998, les enfants mort-nés n'étaient inscrits qu'au registre des décès. Depuis le 1er juillet 1998, ils figurent dans le registre des naissances, avec la mention de leur décès, et la loi donne également aux parents la faculté de les faire porter sur le livret de famille ainsi que de leur donner un prénom et un nom.

En Irlande, jusqu'en 1995, les enfants mort-nés ne faisaient l'objet d'aucune inscription à l'état civil. Désormais, ils peuvent, si les parents le souhaitent, figurer sur un registre spécifique. Dans ce cas, un nom et un prénom leur sont donnés.

L'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions s'est accompagnée d'une clause de rétroactivité. En Allemagne, les parents d'enfants mort-nés avant le 1er juillet 1998 ont pu, jusqu'au 30 juin 2003, demander à bénéficier des nouvelles mesures. De même, en Irlande, la loi de 1994 sur l'enregistrement des naissances permet à tout parent qui le souhaite de faire enregistrer les enfants mort-nés avant 1995.

Par ailleurs, dans tous les pays étudiés, les enfants mort-nés entrent, comme tout défunt, dans le champ d'application de la législation funéraire et les mères sont titulaires du congé de maternité de droit commun.

b) Les enfants nés sans vie avant d'avoir atteint la limite légale de viabilité ne sont pas concernés par cette évolution législative

Même si les enfants nés sans vie qui ne sont pas juridiquement considérés comme mort-nés font l'objet d'une attention croissante de la part des autorités sanitaires et peuvent, dans presque tous les pays étudiés, recevoir des obsèques au même titre que les enfants nés vivants, ils restent à l'écart du mouvement général de reconnaissance législative.

Ainsi, après une fausse couche, les mères ne bénéficient pas d'un congé de maternité, mais, le cas échéant, d'un congé de maladie.

Par ailleurs, ces enfants n'entrent pas dans le champ d'application de la législation sur l'état civil. Les Pays-Bas constituent la seule exception : le code civil prescrit l'établissement d'un acte d'enfant sans vie pour les enfants qu'il qualifie de mort-nés, mais il ne fixe pas la durée minimale de la grossesse nécessaire pour qu'un tel acte puisse être établi, de sorte que la jurisprudence a fixé cette durée à 16 semaines. Les parents ont donc la possibilité de faire rédiger un acte d'enfant né sans vie pour les enfants nés entre la 17ème et la 24ème semaine de grossesse et qui, juridiquement, ne sont pas considérés comme mort-nés.

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En légiférant, le Parlement placerait la France dans le groupe, majoritaire, des pays qui ont opté pour une définition législative de l'enfant mort-né.

 

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